Monif Ajaj, Aiham Dib, Reem Al Ghazzi, Randa Madda, et Muzaffar Salman
Paysage interne
Centre des arts actuels Skol
Du 12 janvier au 25 février 2017
« Au Canada, comme ailleurs, peu de créations contemporaines syriennes ont été présentées et la Syrie n’apparaît qu’à travers le prisme des images télévisées, dans sa nudité crue, dévastée par la guerre. Près de six ans après le début des premières manifestations, il est difficile de prendre de la distance et de pouvoir parler d’une nouvelle forme artistique. Il s’agira donc plutôt de montrer ce que des artistes syriens aujourd’hui donnent à voir en cette période de chaos » [1].
– Delphine Leccas, commissaire
Delphine Leccas est cofondatrice de l’association IN (AIN), ayant pour objectif de soutenir la création contemporaine. Elle réside à Damas en Syrie durant près de 15 ans — de 1998 à 2011 —, où elle est responsable de la programmation culturelle du Centre Culturel Français de Damas. Leccas y organise chaque mois des expositions individuelles afin de soutenir la reconnaissance de l’émergente scène artistique syrienne et créer le premier festival de photo et de vidéo de Damas : Les Journées de la Photographie. En 2008, elle est programmatrice des expositions dans le cadre de Damas Capitale Arabe de la Culture, puis elle organise la première édition d’un festival indépendant à Damas : Visual Arts Festival Damascus. La manifestation est présentée sous forme itinérante, de 2010 à 2015 dans d’autres villes de la Syrie. Depuis, elle est commissaire et co-commissaire de diverses expositions collectives présentées à l’internationale. Dernièrement, elle soumet le projet d’actualité au Centre des arts actuels Skol, de l’édifice Belgo à Montréal — exposition acclamée par l’ensemble de la métropole pour sa grande portée significative en ce temps d’assauts et de perturbations mondiales[2].
Paysage Interne permet de défier l’indifférence et l’insensibilité, de même que de ressentir la situation en Syrie par le biais de créations d’artistes syriens, et non pas à travers des images médiatiques du pays dévasté par la guerre. Le projet propose d’en apprendre davantage sur le contexte déconcertant, ainsi que sur ses habitants démolis. Les cinq œuvres de Monif Ajaj, Aiham Dib, Reem Al Ghazzi, Randa Maddah, et Muzaffar Salman témoignent d’une certaine délicatesse par la fragilité des matériaux et l’intimité des contenus. Ils illustrent avec dévotion et pudeur, la violence comme le chaos des manifestations et conflits alarmants.
L’exposition s’amorce avec l’œuvre immersive projetée sur toile, Light Horizon (2012) de Randa Maddah. L’artiste donne à voir les décombres d’une maison, aujourd’hui inhabitée et détruite. Dans la scène, un pan de rideau vole au vent, une femme s’introduit dans le cadre. Elle tente de balayer et de laver le sol couvert de détritus, puis y installe un tapis ainsi qu’une table ornée de chaises, et enfin s’assoie en regardant le paysage que laissent entrevoir les ruines. Le contraste scénique et la série de gestes empreints d’humanité démontrent le quotidien et les habitudes remaniées des résidents syriens face à la consternation.
L’œuvre de Reem Al Ghazzi, Damascus Rain (2013), une vidéo concise présentée en répétition, renvoie à une nuit à Damas durant laquelle les clapotements de la pluie relayent les bruits sourds de tirs d’armes et d’explosifs. La dialectique entre la trame sonore déflagrante, la scène trouble éclairée par les lumières de la ville et l’effet de boucle, établit instantanément une forme d’angoisse chez le visiteur. Il est pratiquement impossible d’écouter l’extrait en reprise…
Les photographies habitées par la présence humaine de Muzaffar Salman, bien qu’elles contrastent avec les paysages en attentes et en absences de vie de l’artiste Aiham Dib, témoignent pourtant d’une logique — d’une tension insaisissable. De part et d’autre, Salman est photographe pour le quotidien syrien Al-Watan, puis pour The Associated Press, et est engagé depuis 2013 afin de couvrir le conflit à Alep. Dib, quant à lui est photographe pour l’Office national du cinéma syrien.
L’enfilade de dessins expressifs et ardents de Monif Ajaj se compose de personnages déconstruits, de véhicules militaires brisants et d’explosions qui offrent une perspective différente à la photographie documentaire. Les sujets émanent de l’artiste, les traits brusques définissent son état d’âme, ses traumatismes. Ses dessins subjectifs deviennent alors des transpositions personnelles des impasses de la guerre.
L’expographie sans artifice, initiée par Leccas, permet aux visiteurs de se projeter dans les situations que propose chacun des cinq projets. Dans la circonstance de crise actuelle à l’égard des réfugiés syriens, entre autres par les diverses astrictions politiques en cours aux États-Unis, la visite de Paysage Interne est requise. L’exposition permet d’observer intimement ce territoire — de transposer et reconstituer le paysage concret du pays et non pas celui obscène, ou en surface que suggère constamment les médias par des images d’une extrême violence.
[1] Tiré du communiqué de Skol, Exposition de groupe, Paysage interne.
[2]Â Idem.Â