Desirée Holman
Heterotopias
Centre des arts actuels Skol
15 septembre au 15 octobre 2016
Durant 30 jours, du 15 septembre au 15 octobre dernier, le Centre des arts actuels Skol présentait l’œuvre multimédia Heterotopias de l’artiste californienne Desirée Holman.
Le titre de l’exposition, également celui de l’œuvre, emprunte le terme et les notions de l’hétérotopie. Ce concept forgé par Michel Foucault en 1966 lors de la conférence Des espaces autres désigne des contre-emplacements, espaces situés dans les sociétés, créés et représentés par celles-ci, dont la fonction est de contester ou inverser les espaces réels[1]. Lieux imaginés afin d’échapper au réel, au quotidien ainsi qu’à sa banalité ordinaire, parfois dysfonctionnelle et complexe, ces contre-emplacements sont construits en opposition à des espaces utopiques, pragmatiques, idéalistes, irréels ; des espaces sans chronologie qui n’existeront jamais. Autrement, l’hétérotopie est le « lieu autre » par opposition au « lieu sans lieu » de l’utopie ; c’est un espace microcosme, une représentation analogique d’une image réduite de la société, comme d’un individu, situé dans le réel de notre vie et projeté dans un déplacement temporel aux possibles décalages de passés et de futurs, de lieux et de lieux sans lieux. La conception de ces emplacements hétérotopiques a dépassé en quelque sorte le cadre mental depuis l’avènement de réalités complexes, alternatives et immersives par le biais de la technologie. La réalité virtuelle est prédominante et augmentée, les espaces imaginés aujourd’hui sont souvent simulés par le biais de téléphones intelligents ou d’ordinateurs.
Desirée Holman cherche véritablement un monde au sein de notre monde ; des sites de transgression, à la fois de conflits et de jeux. La vidéo multisensorielle établie des corrélations entre la performance comme le théâtre sous la forme d’une démarche collaborative à l’intérieure de laquelle des participants assemblent et fondent une quantité innombrable de références culturelles et visuelles pour inventer leur soi imaginaire. L’œuvre créée en 2011 a été exposée à de multiples reprises entre autres au Berkelet Art Museum, ainsi qu’au Headlands Center for the Arts de Californie.
Dans la vidéo, l’artiste a demandé à neuf interprètes de canaliser leurs désirs individuels, envies personnelles ou récits fantasmés afin de créer pour chacun, une identité subjective. Elle a imaginé l’œuvre par l’idée d’une narration houleuse construite d’éléments s’appelant et s’opposant parfois les uns les autres, dans un principe d’action-réaction. La trame narrative propose des avatars personnifiés aux allures de superhéros mythiques comme transcendants, par des costumes et accessoires qui se composent de divers signes archétypaux repérables pour chacun d’entre eux. Ces habillements cloisonnent ceux-ci à travers des divisions physiques et culturelles, ici leurs échappatoires, relevant des vérités internes rarement projetées dans la réalité quotidienne. Ils émergeaient seuls devant les toiles de fond de leurs propres contextes lyriques ou encore en groupe dans un espace commun, rose, où ils dansent différentes chorégraphies et simulent des batailles. Tous dotés d’une aura rose, apparente à un ectoplasme spirituel, l’artiste s’en sert à titre d’ombre psychologique. Une approche picturale traditionnelle montre les réalités physiques des performeurs devant leur ordinateur. Le processus expérientiel de Holman qui démêle l’analogique et le numérique permet un parallèle radical entre la réalité de leurs environnements quotidiens et domestiques, jusqu’aux espaces hétérotopiques issus de leur imaginaire. Des cadres émergent en juxtaposition, dévoilant une évolution physique par la modélisation 3D. La bande sonore et plus particulièrement le refrain « We go all the way » extrait de la chanson Egineering par Tartufi, transporte les personnages dans l’œuvre comme les spectateurs devant celle-ci, entre conflit et unité, réalité et irréalité.
À l’intérieur de la galerie de Skol, salle entièrement consacrée à l’œuvre, les visiteurs étaient confrontés à un triptyque vidéo. Immersives par la mise en espace à l’échelle humaine, les performances virtuelles devenaient incontestablement interactives. Elles pouvaient être saisies d’une contemplation affective par l’expérience individuelle ou collective. Les projections offraient un rapport particulier avec les neuf emplacements contestateurs du réel ; invitant à réfléchir et à se délecter par l’imagination de notre propre « lieu autre ». Exposition divertissante, elle faisait écho à l’expérimentation et la prise de risque, valeurs soutenues par le centre.
L’oeuvre peut être visionnée sur le site web de Desirée Holman.
Desirée Holman est une artiste basée à Oakland, en Californie. Elle est détentrice d’une maitrise de l’Université de Californie à Berkeley. Son travail, salué par la critique, a été récompensé par le San Francisco Modern Museum of Art SECA Award en 2008, et par l’Artadia Fund for Art and Dialogue Award en 2007. En 2016-2017, elle retournera au SFMOMA comme chercheuse au département de cinéma et de performance, où elle réalisera une œuvre commandée. Elle a présenté des expositions individuelles au Centre des arts actuels Skol, à Montréal (2016), au Black Cube Nomadic Museum, à Denver (2015), au programme MATRIX du Berkeley Art Museum (2011) et au Hammer Museum, à Los Angeles (2009), entre autres. Elle a exposé à l’international, notamment au Musée d’art moderne de Sao Paulo, au Kunstlerhaus Bethanien de Berlin, à BnD, à Milan, et à YYZ, à Toronto. Des critiques de son travail sont parues dans Artforum, Los Angeles Times, NY Arts, Artillery, San Francisco Chronicle et Artweek. Elle est représentée par la galerie Aspect/Ratio, à Chicago[2].
[1] Michel Foucault. 1984. Dits et écrits, « Des espaces autres », n. 360, p. 752-762.
[2] Biographie tirée du site web de Skol, programmation, Desirée Holman.