« Je cherche en ces peintures quelque chose qui fait naître en moi la peur. » – John Player1
Je dois avouer qu’après plusieurs semaines d’absence, je commence à peine à assimiler tout ce qui s’est passé et à me replonger dans le bain des expositions estivales. Je dois le dire, je suis un peu rouillée. Et malheureusement, pendant mon hiatus, le Belgo a perdu une de ses meilleures galeries, la Galerie SAS, et je m’en voudrais de ne pas en glisser un mot même si ce n’est pas l’objet de cet article. Bref, c’est une grande perte pour la bâtisse montréalaise, une de ses valeurs sûres, qui a mis à l’honneur récemment les superbes travaux de Patrick Bérubé, Fred Laforge ou Laurent Craste, pour ne nommer que ceux-là .
Malgré cette perte très attristante et la période toujours plus calme dans les lieux de diffusion, de nombreuses expositions sont en cours, beaucoup étant associées à l’événement Peinture extrême, ce qui est d’ailleurs le cas de l’exposition de John Player et Glenda León à Pierre-François Ouellette art contemporain. Je dois dire tout d’abord que ça m’a fait du bien de revenir en poste avec une exposition d’une telle qualité et avec autant de consistance. Et pour commencer par la partie brève, León présente une courte vidéo de trois minutes, Inversión (2011), dans la pièce sombre de la galerie (celle avec le tapis moelleux), projet efficace pour lequel elle râpe à la lame l’encre d’un billet de cent dollars, l’aspirant comme de la cocaïne avec un tube fait du papier restant une fois l’opération terminée. Seuls les bruits du raclement répété et de la coupe de la fausse came nous parviennent, laissant toute la place au geste de détournement lourd de sens.
Pour ce qui est de notre programme principal (pour parler en vieux langage de VHS), la partie consacrée à John Player reprend certains éléments assez vus dans le milieu de l’art ces dernières années, mais ici exploités à leur paroxysme et les faisant coller à la pratique picturale de l’artiste. Housing Complex(2013) et Surplus Reserve (2013) rappellent notamment le travail d’Edward Burtynsky et ses Manufactured Landscapes, tandis que Security (2012) et Conference Room (2012) présentent de nombreux points communs avec le travail de Lynne Cohen. Rien de désagréable comme rappel, cela dit, d’autant plus que Player maîtrise son art et instaure un discours pertinent et différent de ses confrères photographes en explorant plutôt des notions de pouvoir et de paranoïa. Ce thème est d’ailleurs très bien exploité dans Lineup (2012), représentation à l’huile d’une rangée d’hommes en uniforme munis de matraques, dont les visages sont masqués par une bande grise occupant tout le haut de la toile, une petite flèche ayant été ajoutée au centre, comme celles servant à mettre en marche des vidéos sur le web. Dans des aquarelles installées plus loin, Player crée une atmosphère lourde et angoissante, tant par les couleurs que les objets qu’il choisit d’exploiter (c’est d’ailleurs le cas de l’ensemble de l’exposition, cela dit), comme des avions de guerre ou cette résidence perdue dans les bois et vue d’en haut comme si on la surveillait, ou alors cette sorte de bunker blanc perdu dans l’environnement urbain. On se sent tantôt en plein cÅ“ur d’un jeu vidéo ou d’une fantaisie sortie directement d’un film alarmiste, tantôt dans un monde beaucoup trop réel pour nous laisser indifférent. Bref, l’univers de John Player est à découvrir, ne serait-ce que pour la facilité déconcertante avec laquelle il nous fait craindre le pire de nos décideurs.
1 Tiré du site web de la galerie.
Pierre-François Ouellette art contemporain, espace 216
John Player et Glenda León
7 juin au 20 juillet 2013
www.pfoac.com