J’ai découvert le travail de Kent Monkman il y a quelques années lors de l’exposition Flagrant délit à Espace Shawinigan, et tout de suite, j’ai été séduite par sa façon brillante de jouer avec l’histoire et de la réinterpréter avec causticité. Dans un tipi de luxe pour riche conquérant du Nouveau Monde, Monkman signait alors une vidéo critiquant le stéréotype de l’autochtone véhiculé abondamment dans le western hollywoodien et proposant un débat entre le réel et le fictif. Cette pièce m’avait beaucoup plu, et c’est donc avec joie que je me suis rendue à Pierre-François Ouellette art contemporain cette semaine pour y admirer Miss America, nouvelle production de l’artiste.
Toujours dans une optique de prendre l’histoire comme « matière malléable »1, Monkman poursuit ici son exploration de la subversion de la restitution. La pièce maîtresse de l’exposition, Miss America (2012), gigantesque acrylique de près de trois pieds par sept pieds, fait se côtoyer un prêtre, un joueur de football américain, un Chinois construisant un chemin de fer, des autochtones, des conquérants et des conquis, des loups, un ange, une sirène, la statue de la Liberté, une pyramide maya, un coffre au trésor, de la violence, des flèches, des fusils, des anachronismes et Monkman lui-même, présenté sous les traits de Miss Chief Eagle Testickle, son alter ego. Bref, c’est un beau mélange d’icônes historiques, souvent ennemies ou ayant des valeurs totalement opposées, plaçant tout le monde sur un pied d’égalité, le tout avec humour et dans une esthétique très européenne, Monkman s’étant d’ailleurs inspiré du peintre rococo Giovanni Battista Tiepolo.
Pour le reste des œuvres, on reprend un peu le même principe, mais avec un peu plus de subtilité, quoique celle-ci ne soit pas tout à fait l’apanage de Monkman. Descent Into Amnesia (2011) allie le Nu descendant un escalier de Duchamp avec un décor rappelant ceux des grands peintres paysagistes canadiens, et Flow (2011) se situe dans une même logique de conflagration. Dans un petit coin en retrait, les oiseaux gazouillent alors que deux œuvres vidéographiques, Winnetou & Shatterhand (2012) et Tonto & The Lone Ranger (2012), mettent en scène une conversation entre des personnages encore une fois très peu enclins à se retrouver au même endroit au même moment. Même chose pour les deux peintures adjacentes situant leur action dans un paysage identique.
Kent Monkman est un artiste important des dernières années, et ne serait-ce que pour cette raison, je vous invite fortement à aller voir de quoi il en retourne. L’artiste affine son art, approfondit son sujet et propose une exposition de grande qualité à Pierre-François Ouellette art contemporain.
1Propos tirés du communiqué de presse officiel de l’exposition.
[article original par Maude Lefebvre]