Lignes de faille à la Galerie SBC

Samuel Beckett, Not I, Galerie SBC

J’aurais beaucoup à dire (ou à écrire) sur l’exposition Lignes de failles présentée en ce moment à la Galerie SBC. En fait, non seulement j’aurais beaucoup à dire, mais j’aurais aussi du matériel pour alimenter ma soif de connaissance et d’approfondissement pour longtemps encore. Parce que cette exposition, s’inscrivant dans un programme de recherche de deux ans sur le thème de la souveraineté, s’aborde plutôt comme un projet discursif et évolutif qui, je dois vous en avertir, nécessite un certain investissement de la part du spectateur, autant au niveau du temps que de la curiosité intellectuelle exigée. Dans mon cas, après plus d’une heure et demie dans la galerie, je ne pense pas avoir parcouru la moitié de tout ce qu’il y avait à lire, à voir et à entendre, mais il reste que les propositions sont riches, denses et incroyablement intéressantes, ce qui rend l’effort plus acceptable pour les moins motivés.

La commissaire et directrice de la galerie, Pip Day, a donc réuni cinq Å“uvres1 traitant de la question de la souveraineté, mais tournant plus précisément autour des notions de langage, de prise de parole et d’affirmation de soi. Tout d’abord, l’installation Forever Live : The Case of K. Gun (2006) de François Bucher s’attarde au cas de la traductrice Katharine Gun qui, en 2003, avait brisé la politique de confidentialité la liant aux services secrets britanniques pour qui elle travaillait. Dans la vidéo, celle-ci traduit en direct et sous écoute téléphonique Before the Law de Kafka, extrait de son livre Le Procès. Le résultat est erratique, le son de l’enregistrement faisant parfois faux-bond et Gun hésitant durant la traduction, laissant de longs silences et s’autocorrigeant par la suite, mais le propos est tout à fait juste et apporte plusieurs niveau d’interprétation. Assemblages (2011) d’Angela Melitopoulos et Maurizio Lazzarato touche plutôt aux théories du psychanalyste et philosophe Félix Guattari, qui soutenait que les problèmes politiques sont de même nature que ceux de l’inconscient et qu’il n’y a pas de coupure à faire entre l’inconscient personnel et collectif, entre autres choses (et pour résumer très grossièrement). Bref, ici comme dans plusieurs Å“uvres de l’exposition, on met de l’avant les discours alternatifs et l’ambiguïté créée par le développement de plusieurs subjectivités. Cette sorte de zone grise revient dans la proposition de Yael Bartana,Mary Koszmary (Nightmares) (2007), alors que le protagoniste, au beau milieu d’un stade pratiquement vide, demande aux juifs de revenir en Pologne dans un discours fédérateur (« With one language, we cannot speak! With one color, we cannot see! […]»). Évidemment, il y a là une charge significative incommensurable, et l’Å“uvre frappe par la somme de ses messages contradictoires.

Un enregistrement de l’interrogatoire de Bertolt Brecht à la Commission des activités anti-américaines en 1947 est aussi de l’exposition, mettant encore ici de l’avant des questions de langage, alors que certaines traductions du phrases du dramaturge, la différence entre « You must take over the lead » et « You must be ready to take over », entre autres, posent problème au comité. Évidemment, l’enjeu est beaucoup plus profond dans un contexte de chasse au communisme et d’atteinte à la liberté d’expression, mais l’enregistrement recèle de phrases lourdes de sens à ce sujet. Finalement, l’Å“uvre évolutive de Sophie Castonguay, Points de rencontre (2012), est décrite dans un autre enregistrement, l’artiste nous laissant découvrir par une narration très précise des différentes actions qui seront réalisées dans les deux prochains mois la teneur de ce projet participatif axé sur la discussion.

Il y a donc énormément de substance dans Lignes de faille, et j’ai très hâte de voir ce que le projet de recherche sur la souveraineté nous réservera. Si vous n’avez pas peur des Å“uvres vidéo nécessitant une écoute somme toute assez active, je vous conseille d’aller y faire un tour. En fait, même si ça vous rebute, il y a trois des cinq Å“uvres qui peuvent s’apprécier en quelques minutes seulement, alors, allez-y! C’est fascinant!

1 Une sixième Å“uvre totalement pertinente aurait dû être de l’exposition, Not I de Samuel Beckett, mais n’a malheureusement pu s’y retrouver à cause des droits de protection trop élevés. Si cela vous intéresse, je vous invite à aller la visionner en ligne juste ici. 

Galerie SBC, espace 507
Yael Bartana, Bertolt Brecht, François Bucher, Sophie Castonguay, Angela Melitopoulas et Maurizio Lazzarato
Fault Lines / Lignes de faille
6 décembre au 16 février 2012
www.sbcgallery.ca 


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